Ukraine : Fabius gêné par Lavrov

Réunion à Genève, demain, sur la crise ukrainienne... Le ministère russe des Affaires étrangères souligne un point plutôt scabreux, dont Paris préfère ne pas parler :

 

Communiqué dédaigneux du Kremlin :"Au lieu de se livrer à des accusations gratuites à l'encontre de la Russie, qui serait prétendument la source de tous les malheurs de l'Ukraine, la diplomatie française que dirige Laurent Fabius ferait mieux de concentrer ses efforts sur le respect des engagements que la France a pris en se faisant le garant des accords du 21 février."

Fabius n'aime pas qu'on le lui rappelle : lui et son homologue allemand étaient allés à Kiev obtenir un compromis entre Maïdan et Ianoukovitch (gouvernement légal à l'époque, issu d'une élection contrôlée et validée par l'OSCE). Ce compromis avait été atteint : élections anticipées, etc ; il avait été cosigné par les deux camps. Et garanti par les deux ministres européens... Moyennant quoi il avait été annulé, dès le lendemain, par les durs de Svoboda et les oligarques du clan anti-Ianoukovitch, qui avaient relancé la rue avec un cran supplémentaire de violence assuré par les snipers de Pravyi Sektor. Ianoukovitch s'était enfui. Un pouvoir insurrectionnel s'était emparé de l'exécutif. Les ministres européens n'eurent alors d'autre choix que d'entériner la situation en l'ornant d'évaluations favorables : ainsi Fabius disant "c'est une nouvelle majorité", quitte à oublier que l'accord du 21 – déchiré dès le 22 – portait sa signature. Comportement de déni... Et cadeau, offert à Moscou, d'une arme dont Lavrov allait faire usage.

Evidemment personne n'est dupe du légalisme invoqué par le Kremlin ; personne n'est choqué de ce que les ligues de Maïdan ont fait du chiffon de papier du 21 février – même avalisé par M. Fabius : car la légalité internationale a été trop bafouée depuis vingt ans (accords d'Oslo, Kosovo, Irak, Libye...) pour qu'un accroc de plus soit vu comme un problème. Sitôt affiché, sitôt zappé ; il n'y a plus de différence entre la diplomatie et les chaînes d'info en continu. 

Mais le porte-à-faux du Quai (où l'a placé le coup du 22 février) montre dans quel engrenage on met le doigt quand on mène une politique qui n'en est plus une, et qu'on substitue les postures émotionnelles à l'analyse des forces et des intérêts. La politique étrangère est un métier. La France manque de professionnels.